La question vous a déjà sans doute été beaucoup posée : comment produisez-vous vos pièces à deux ?
Charles : Avant, quand on nous posait la question, nous nous sentions obligés de répondre que nous fonctionnions en ping-pong. Mais en réalité nous n’avons pas de méthode. Pour chaque projet, il faut réinventer une façon de travailler ensemble.
Juliette : L’intérêt de notre collaboration, c’est que nous avons des façons de penser et de travailler ainsi que des références extrêmement différentes. Ce n’est que lorsque nous arrivons à nous retrouver tous les deux dans un projet que nous considérons qu’il est viable.
Concrètement, à l’atelier, comment fonctionnez-vous ?
Juliette : Nous avons un mur de références, sur lequel sont accrochées différentes images, une sorte de condensé des environnements et matériaux sur lesquels nous souhaitons travailler. Nous n’établissons pas de hiérarchies entre nos sources : peuvent ainsi se côtoyer la photographie d’une barquette en polystyrène et une œuvre de Gabriel Kuri. Ce nivellement des informations et des sources est un fait générationnel – induit en grande partie par Internet – qui nous intéresse et que nous appliquons à notre travail. Nous n’avons aucun scrupule à puiser tant dans des œuvres ou dans des livres de référence que dans des forums de discussion.
Charles : En ce moment nous réfléchissons à ce que nous allons présenter lors de l’exposition des Félicités. Plutôt que de faire une sélection de quelques pièces finies, nous aimerions donner à voir un système en créant un espace entre le laboratoire, l’atelier et l’entrepôt. Nous voulons montrer des choses à différents stades : recherche, conception, création, exposition, diffusion, stockage, archivage… et créer une confusion entre ces états.
Juliette : C’est quelque chose que nous voudrions mettre en rapport avec la manie de l’homme de vouloir tout nommer, tout classer, tout archiver, et notamment ce qui le dépasse. Il y aura donc probablement beaucoup d’éléments naturels et cosmiques dans notre installation.
Quel rapport entretenez-vous avec les nouvelles technologies, et ce qu’elles sous-tendent, leur obsolescence quasi immédiate ?
Juliette : Les nouvelles technologies nous intéressent, mais en friction avec des choses plus ancestrales, qui ont rapport avec la mémoire ou avec l’archéologie.
Charles : En bricolant, nous essayons de réaliser des objets qui semblent manufacturés. Nous ne sommes ni critiques ni bienveillants à l’égard de ces nouvelles technologies, Nous cherchons simplement à comprendre leur fonctionnement et leurs limites. Le savoir-faire nous fascine, nous regardons beaucoup de tutoriels, et essayons de les reproduire avec ce que nous avons sous la main. Nous tentons de contourner les processus qui nous dépassent, et de détourner ceux que nous connaissons.
Juliette : Nous les utilisons souvent en prenant leur contre-pied : par exemple en imprimant en 3D des objets plats, en scannant des choses transparentes... Nous cherchons à pousser les limites de ces technologies, tout en assumant le fait de ne pas savoir comment les utiliser comme il le faudrait. Il n’est pas question de chercher à combler nos lacunes, au contraire nous aimons l’idée de les entretenir.
Souvent, derrière vos bricolages, il y a l’idée de l’échec, de la faille : comment intégrez-vous ce processus expérimental à votre travail ?
Juliette : Nous cherchons à révéler ou à soulever les aberrations de certains systèmes. Tout ce que nous faisons est considéré comme une tentative : plus elle nous semble absurde et vaine, plus nous avons envie de la faire. Il peut s’agir d’archiver Internet, de créer une flaque éternelle, de transformer une plante Ikea en jungle, de domestiquer le cosmos… On retrouve souvent dans notre travail des phénomènes d’apparition, de disparition, de dématérialisation ou de conservation.
Il y a aussi un rapport à la science assez lisible dans vos travaux : comment l’envisagez-vous ?
Juliette : C’est l’idée de l’expérimentation et du test qui nous plaît : nous aimons mettre en doute, et questionner l’authenticité des choses. Il y a quelque chose qui nous semble assez comparable dans notre démarche et dans la recherche scientifique : une volonté de repousser les limites du rationnel et de faire vaciller des certitudes. La différence, c’est que le but de la science est souvent de comprendre et de prouver, tandis que nous interrogeons sans forcément chercher une réponse.
Charles : Nous sommes artistes pour pouvoir faire tous les métiers que nous voulons : en imitant, nous pouvons un jour nous essayer à être chercheurs en minéralogie, le lendemain archéologues, naturalistes ou encore astronomes. Nous aimons entretenir ce genre de fiction, et considérer notre travail comme une forme d’exploration ou de recherc